Le Prix de Lausanne suit une politique générale de santé en accord avec celles des principaux centres de formation du monde entier. Ainsi que le stipule l’article 5 du Règlement du Prix de Lausanne, l’objectif du concours est de promouvoir la santé et les compétences des jeunes danseurs et danseuses pour leur permettre de développer leur aptitude à exprimer entièrement leur talent, d’accroître leurs performances et d’améliorer leur qualité de vie. Afin d’atteindre ce but, les futurs candidat/es sont prié/es, avant leur inscription, de compléter en présence de leur médecin de famille un dossier médical propre à déceler d’éventuels problèmes de santé comme par exemple des troubles du comportement alimentaire, des problèmes de croissance ou des risques anatomiques.
Si les résultats laissent apparaître des risques potentiels, le Dr Carlo Bagutti, médecin conseil du concours, contacte ces danseurs ou danseuses et leur médecin afin de leur faire part de ses observations et d’insister sur l’intérêt de rechercher des solutions appropriées. En outre, chacun/e de ces candidat/es a une entrevue avec le Dr Bagutti à son arrivée à Lausanne, avant le début du concours. Ce dernier informe ensuite le Comité Exécutif du Prix de l’aptitude de ces candidat/es à participer au concours.
Pendant le concours, il reçoit en consultation les candidat/es qui semblent requérir un suivi médical complémentaire. Chaque fois que cela est possible, les parents et enseignants sont associés à ces consultations et invités à collaborer à la mise au point de programmes pour assurer la prise en charge et le contrôle de la santé de ces jeunes danseurs et danseuses. Lors de ces entretiens l’accent est mis sur le lien entre un bon état de santé et la carrière à long terme d’un/e artiste de niveau mondial.
En comparaison avec d’autres activités physiques intensives, telles que le sport, quels sont les risques spécifiques de la danse classique?
La danse, et le ballet en particulier, sont des activités physiques très intenses qui soumettent les os, les articulations, les muscles et les tendons à des efforts et à des tensions importants et répétés. Le corps humain a une faculté d’adaptation énorme et il peut supporter des niveaux élevés d’effort si celui-ci est augmenté progressivement. Des efforts trop intenses ou une progression trop rapide peuvent provoquer une usure des tissus et des os et peuvent fréquemment entraîner des troubles hormonaux. De surcroît, la danse classique requiert deux aptitudes qui ne sont nécessaires dans aucune autre discipline: se tenir sur les pointes (pour les femmes) et exécuter des mouvements en ayant les jambes tournées en dehors au niveau des hanches. Pour acquérir ces deux aptitudes, il est nécessaire de suivre un entraînement progressif pendant de nombreuses années. Il existe un seuil personnel de tolérance à ces exigences physiques, propre à la constitution de chaque individu, au-delà duquel des blessures dites de surcharge peuvent se produire. Leur apparition est souvent progressive et le danseur s’habitue à tel point à travailler dans la souffrance qu’il considère cette situation comme normale. Cependant, les conséquences à long terme des blessures de surcharge sont très graves car elles peuvent obliger les danseurs à interrompre leur carrière pendant de longues périodes.
Est-il possible de nos jours d’accomplir une performance de qualité sans prendre de risques physiques?
Pour pouvoir accomplir des performances exceptionnelles dans le domaine de la danse classique, il faut disposer de qualités physiques, techniques et artistiques très élevées. Les risques de blessure sont relativement faibles si on les possède. Cependant, certains danseurs peuvent souhaiter rivaliser – ou être encouragés à le faire – avec les performances d’artistes qui disposent d’aptitudes physiques extrêmes, telle qu’une souplesse exceptionnelle ou un « en-dehors » complet. S’ils contraignent leur corps à imiter les aptitudes d’un autre danseur plutôt que d’améliorer progressivement leurs propres aptitudes, ces danseurs courent le risque de s’infliger de sérieuses blessures de surcharge susceptibles d’entraîner des conséquences à long terme sur leur carrière.
Ces dernières années, le Prix de Lausanne s’est penché sur la question de la maigreur excessive, voire de l’anorexie, de jeunes danseuses. L’anorexie est-elle un problème majeur ou un phénomène marginal?
Au sein de la population générale, l’anorexie est plus fréquente que le public ne l’imagine. Dans certains domaines (tels que la danse classique, la mode et certains sports à l’instar de la gymnastique artistique, le patinage sur glace et la course) dans lesquels l’esthétique et le poids sont particulièrement mis en évidence, elle est encore plus largement répandue. Cependant, le problème majeur est constitué plutôt par des troubles du comportement alimentaire moins graves que de vraies anorexies. Ces comportements de type anorexique sont plus fréquents et mettent aussi en danger la santé des individus, surtout s’il s’agit de jeunes en pleine croissance.
Les exigences psychologiques nécessaires pour mener à bien une formation de danseur professionnel sont désormais mieux reconnues et comprises. Psychologiquement, est-il plus difficile de se consacrer à la danse classique plutôt qu’à une autre discipline artistique ou au sport?
La danse classique exige un investissement personnel considérable. Dès l’enfance, elle devient l’élément central de la vie du jeune danseur. En soi, l’expérience de la danse à travers son propre corps déclenche une formidable passion personnelle tant sur le plan physique que psychologique. Comme les danseurs sont tenus de consacrer énormément de temps et d’énergie à leur formation, ils renoncent généralement à l’équilibre habituel entre les loisirs et la vie sociale. Aussi est-il extrêmement bénéfique que la famille et les amis fassent preuve de souplesse afin que le danseur ne soit pas systématiquement contraint de choisir entre sa formation et ses activités familiales et sociales.
Malgré le bref laps de temps au cours duquel vous êtes en contact avec les participants en qualité de médecin conseil du Prix, quelles mesures pouvez-vous appliquer pour faire prendre conscience aux jeunes danseurs des bienfaits qu’ils retirent d’un entraînement équilibré et de choix nutritionnels judicieux?
Notre projet éducatif dans le domaine de la santé s’articule sur trois axes. En premier lieu, le candidat reçoit un formulaire médical à remplir avec son médecin traitant. Il est accompagné d’un questionnaire détaillé destiné à déceler des troubles du comportement alimentaire. Le but de ces questionnaires est d’attirer l’attention des candidats et de leur entourage sur des problèmes potentiels liés à des troubles alimentaires et de donner au médecin traitant l’occasion d’aborder ces questions avec le candidat. Ces informations qui me sont transmises par le médecin traitant en toute confidentialité me permettent de me forger une opinion sur la condition physique du danseur et d’identifier les candidats à risques. Mes interventions pendant le concours représentent le second axe de notre action. Face à des situations que je considère comme particulièrement dangereuses, j’élabore une stratégie pour des soins ultérieurs et la surveillance de la santé du jeune danseur. Enfin, nous organisons aussi des séminaires de formation pour les candidats, leurs familles, amis et enseignants.
La responsabilité de la santé de ces jeunes danseurs n’incombe-t-elle pas en premier lieu à leurs parents et aux personnes qui dirigent leur formation?
Sans aucun doute. Toutefois, le comité d’organisation du Prix de Lausanne estime qu’il serait irresponsable de fermer les yeux sur les risques qu’une maigreur excessive ou qu’une lésion de surcharge peuvent causer à la santé en compromettant le développement à long terme des jeunes danseurs.